L’École : Cujas et les savoirs académiques

De son vivant, Jacques Cujas publie une vingtaine d’ouvrages, qui lui permettent d’affirmer son autorité doctrinale et sa méthode, notamment marquée par la critique philologique des textes de droit. Son premier recueil d’œuvres intégrales paraît dès 1577, mais ses Opera omnia sont considérablement étoffées après sa mort, au point d’atteindre dix volumes in‑folio dans l’édition donnée par Charles-Annibal Fabrot (1580‑1659) en 1658. Celles-ci sont rééditées, dans des versions plus ou moins remaniées, jusqu’en 1874. Si cette production et cette longévité peuvent dire quelque chose du rapport de l’École à Cujas, elles ne sont qu’un des éléments permettant d’exposer les différents usages de Cujas par l’École, leur évolution et leur participation à la construction du « grand juriste ».

  • Dès ses premiers enseignements à Toulouse, Cujas développe un solide réseau de relations, largement alimenté par ses disciples. Certains de ses étudiants, avec lesquels il entretient des rapports autant intellectuels qu’amicaux, le suivent ensuite dans ses pérégrinations académiques et diffusent activement sa pensée. Comme l’illustrent les documents ci-dessous, les frères Pierre et François Pithou (1538‑1596 ; 1543‑-1621), Jean Amariton (1525‑1590) ou l’Écossais Alexander Scot († v. 1616) participent à la publication des œuvres de leur maître. De leur côté, Étienne Pasquier (1529‑1615) et Jacques‑Auguste de Thou (1553‑1617) sont de ceux qui, par leurs écrits glorificateurs, contribuent à l’émergence de la figure « du Jurisconsulte ».
  • De son vivant, la figure de Cujas est autant fabriquée par ses adversaires que par ses disciples, ainsi qu’il ressort des textes ci-dessous. Dès ses débuts toulousains, Cujas s’inscrit au cœur des controverses qui secouent les partisans de l’humanisme juridique tout au long du xvie siècle. Initialement méthodologiques, notamment avec François Le Douaren (1509‑1559) ou François Hotman (1524‑1590), les divergences entre Cujas et ses rivaux se doublent d’inimitiés qu’exacerbe le contexte troublé des guerres de religion. La batailles des idées est aussi une bataille de personnes, comme le montre l’évolution des disputes que Cujas entretient avec Jean Bodin (1529/30‑1596), mais surtout avec Hugues Doneau (1527‑1591).
  • Les solutions juridiques proposées par Cujas continuent d’occuper une place très forte à l’École durant les : xviie et : xviiie siècles, que ce soit en France ou à l’étranger. Comme pour le Palais, les figures qui ressortent le plus sont les figures d’autorité (la simple référence à Cujas entraînant validation des écrits d’un auteur) et d’auteur ressource (quoique les objectifs divergent entre Palais et École), dont les œuvres sont à étudier et à confronter. Si l’on retrouve également l’idée que Cujas puisse être un auteur dépassé et si ses conclusions sont parfois remises en cause, la fabrique du « grand juriste » est particulièrement à l’œuvre dans cette apparente nécessité des auteurs de s’inscrire par rapport à Cujas, au point que l’absence de référence, comme chez Jean Domat (1625‑1696), puisse constituer un positionnement. Les documents rassemblés ici présentent des exemples de ces différents usages, non seulement en France, mais aussi en Allemagne, en Angleterre, en Écosse et aux Pays‑Bas.
  • La place de Cujas dans l’enseignement du droit s’atténue à partir du xixe siècle, moment où il devient plutôt un objet d’étude historique. Cette évolution s’explique en grande partie par celle des ordres juridiques nationaux, au sein desquels le rôle du droit romain ne cesse de se réduire. Corrélativement, l’enseignement de ce dernier occupe une place de plus en plus limitée à l’université, où se développe de nouvelles matières. Louis de Cormenin (1788‑1868), célébrant le droit administratif, peut ainsi classer Cujas dans les figures inutiles du passé. Cependant, au début du xixe siècle émerge en Allemagne l’« École historique » qui considère, en opposition à la codification étatique, que le droit est sécrété par la société et modelé par l’histoire, et qu’il appartient à la doctrine de le mettre en forme. La place que ses membres accordent à l’histoire dans la formation du droit les rapproche logiquement de Cujas. Ainsi les penseurs allemands, comme Gustav Hugo (1764‑1844) ou Friedrich Carl von Savigny (1779‑1861), et français, tel Eugène Lerminier (1803‑1857), tendent à faire de Cujas l’un des pères fondateurs de leur école. Les documents présentés ici montrent comment les ouvrages et revues issus de ce courant entretiennent et renouvellent la figure du « grand juriste » à travers des exemples pris en France, en Allemagne et aux Pays‑Bas.
  • La première moitié du xxe siècle constitue sans doute le principal moment d’effacement de Cujas au sein des universités, alors qu’il fait son retour après la Seconde Guerre mondiale. Ce retour en grâce s’opère via un processus de patrimonialisation le consacrant comme une figure tutélaire. Les documents ci‑dessous reflètent cet usage d’une part, dans les amphithéâtres baptisés du nom de l’humaniste par des universités dans lesquelles il n’a jamais enseigné et d’autre part, dans l’utilisation comme référence dans les manuels d’histoire du droit et d’introduction au droit, qui intègrent progressivement le renouveau des études sur l’humanisme juridique.
  • Cujas bénéficie en effet depuis plusieurs décennies du renouveau des études sur l’humanisme juridique. Alors que les auteurs de la Renaissance intéressaient jusque‑là surtout les romanistes pour la reconstitution des textes juridiques de l’Antiquité, ils font à présent l’objet de travaux d’histoire de la pensée juridique, illustrés ici par quelques références françaises et étrangères.